La règle d\'or

La règle d\'or

Au hasard des pages

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La chaleur est étouffante dans l'aéroport de Madrid. La zone d'embarquement pour le vol de Lima plonge déjà le voyageur dans l'ambiance sud-américaine. Les femmes ont la peau mate, les yeux foncés, les cheveux bruns et raides. Les hommes aussi, mais ils m'intéressent moins. Je m'ennuie. Les mots fléchés ne m'amusent déjà plus. Mes essais lors du vol de Paris montrèrent mon incapacité à résoudre les énigmes de niveau trois. Pas encourageant pour quelqu'un qui part pour élucider un mystère.

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- Vous voulez des fruits ?

- Non merci.

- Alors demain ?

- Oui, demain.

- Vous êtes Français !? Paris, Tour Eiffel.

- Je ne veux rien, merci !

Je réponds sèchement, me sentant agressé.

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Ce signe ne trompe pas. Il est logique que le trésor de pépé soit caché dans un tel pays. Et s'il s'agissait de l'or des Incas ? Mais oui ! Le Machu Picchu n'a jamais été découvert par les conquistadors. Ce serait énorme !

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Je me décide enfin et entre dans un restaurant de quartier. La salle est pleine. L'espace entre les tables est réduit. Le bouton du volume de la radio locale semble bloqué sur la position maximale. Mais cet inconvénient passe inaperçu..

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Quand je vois que nos églises sont vides, je m'étonne que le Pape ne soit pas d'Amérique latine. La domination européenne ne semble pas qu'économique.

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Des familles attendent également avec les sacs à riz dans lesquels sont rangés leurs objets personnels. Le sac à riz est au Pérou ce que Vuitton est au Japon, la norme du sac de voyage.

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Depuis, j'ai découvert deux temps. Celui qui passe trop vite quand je suis en agréable compagnie, comme tout à l'heure avec Claire. Et celui qui s'écoule lentement mais qui ne m'énerve plus. Je consacre ce dernier à l'observation de tout ce qui m'entoure. Le temps lymphatique m'a donné cette nouvelle attitude.

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Je ferme le robinet et lis les instructions nécessaires à l'obtention de l'eau chaude. J'actionne le gros interrupteur et regarde avec inquiétude le fil électrique rafistolé passer à quelques centimètres sous la pomme de douche. J'envisage d'adresser une prière mais ne me souviens d'aucune, et me résous à ouvrir le robinet.

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Pas moyen d'être tranquille ! Je suis en vacances, moi ! Je ne lui demandais pas de me poser des questions, juste de m'indiquer où était le trésor. Fait chier ! On se croirait à l'école primaire, quand la joie de la sortie scolaire était ternie par la charge d'un exposé écrit. Et il me tutoie comme un petit garçon alors que je l'ai vouvoyé par respect. Il se prend pour qui, le guide !? Mao Zedong ?

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Les deux adolescents sont totalement absorbés par leurs regards. Ils ne remarquent pas les pirouettes qui les accompagnent, ni les regards et commentaires moqueurs du banc voisin. Le garçon tente à grand-peine d'alimenter la conversation pour retenir la jeune fille. Celle-ci, passive, répond avec un sourire figé, espérant de son interlocuteur un pas plus intime qu'il n'osera pas franchir.

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Je sors de l'agence, contrarié. Je descends la rue et longe un imposant mur inca sans le remarquer. La fête spontanée sur la droite ne me déride pas. La joie des musiciens soufflant à pleins poumons dans leurs cuivres, et des danseuses en costumes traditionnels venues de leurs villages, est pourtant communicative.

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Ce n'est pas étonnant qu'ils veuillent remplir le bus au maximum. Pas étonnant non plus qu'ils se dépêchent sur la route pour arriver les premiers et avoir plus de clients à l'étape suivante. A condition d'arriver entier. Les icônes placées à l'avant du car et les signes de croix du chauffeur avant chaque virage contribuent à cette réussite. Je suis comprimé dans l'allée centrale, mon petit sac à dos en position ventrale. J'essaie de ne pas marcher sur l'homme qui dort par terre allongé, son sac à riz sous la tête en guise d'oreiller. Les fesses de ma voisine d'infortune débordent largement sur l'épaule du chanceux qui a une place assise. L'enfant sur son dos est impassible. Les femmes sont toutes habillées en robes brodées et chapeaux dont les formes indiquent la région de leur provenance. Elles portent plusieurs couches qui n'arrêtent pas pour autant l'odeur de corps rarement lavés. L'hygiène ne semble pas le souci premier. Le mélange des cultures passe aussi par celui des odeurs. Le voyage en bus est formateur en la matière. Il faut malheureusement choisir entre deux maux. Les odeurs ou le rhume provoqué par la fraîcheur d'une fenêtre ouverte. A cette altitude, je préfère les odeurs, mais cela ne dépend pas toujours de moi.

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Je rejoins mon groupe au café, la mort dans l'âme. La réponse m'a coupé l'appétit. Je me force à manger car je sais devoir produire des efforts physiques. Je m'assieds à côté des Américains. Ces derniers m'expriment leur déception de ne pas trouver des hamburgers.

Le voyage commence bien !

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Je m'isole plus loin, observe alentour et ne vois toujours pas de signe. Il reste deux jours avant le Machu Picchu. Cette absence d'indications commence à m'inquiéter. Je me résous à prendre mon carnet, et pose les énigmes sur la feuille.

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J'ouvre mes paupières. Depuis combien de temps suis-je allongé ? Que m'est-il arrivé ? Je vois une dame âgée, édentée et échevelée. Ses yeux sont vitreux. On dirait une sorcière. Elle tourne autour de moi et crie je ne sais quoi. Puis plus rien, le trou noir.

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Marre des phrases pleines de sous-entendus ! Marre des destinations sans adresse précise ! Marre des énigmes ! Ras-le-bol !

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- Je n'ai pas pris au début cette histoire au sérieux, puis elle m'a rattrapé. Je devais… chercher un trésor.

- Une vraie aventure. J'adore !

- Tu te fous de moi. Tu me prends pour un mythomane.

- Non. Non. Je te crois. Tu as l'air d'avoir assez de mal à me l'avouer.

Elle est sincère. D'habitude les Européens me prennent pour un fou.

- Tant mieux, parce que la suite n'est pas triste non plus.

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- ça explique ta lecture alchimique.

- Tu avais vu. J'en étais sûr.

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Sans compter les cireurs de chaussures. La plupart sont cagoulés pour ne pas être reconnus des voisins et ainsi ne pas attirer la honte sur leur famille. J'ai mal pour eux.

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- Pas du tout. Tu ne peux pas imaginer la force que puisent les êtres humains dans l'adversité. Bien sûr, certains se laissent aller. Mais beaucoup luttent. Toutes les petites victoires sur la maladie, ne serait-ce que pour la retarder et voir encore une fois ses enfants, deviennent de vraies joies que ne connaîtront jamais les bien portants. Ils t'accueillent le matin avec le sourire, se soucient de toi, t'apportent de l'amour. Leur regard dégage la sérénité des gens qui ont compris la vie. Et ça, tu ne l'apprends pas dans les bouquins, c'est l'expérience.

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Je m'efforce de changer de comportement, je me crois évolué, et crac, je cède à la première tentation venue. Je reste quelque part un primate avec ses pulsions difficiles à contrôler. Je dois bien l'admettre.

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Que fais-tu de ta vie ? Il faudrait que j'adapte ma vie à mon nouvel état d'esprit, et non pas que j'essaie de m'adapter à une vie qui ne me convient plus. C'est pour cela que je suis mal.

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- Tu ne sais pas dire autre chose ? Je t'agace parce que tu ne sais pas quoi me répondre. Tu sais que j'ai raison. Tu devrais voir papa. Il est de bon conseil, il a réussi dans la vie.

- En plantant toute sa famille pour partir avec une beauté écervelée. Merci, je me passe de ses conseils. Je n'ai pas envie de lui ressembler.

- Je te parle de travail, pas de sa poule.

- Ecoutez-moi bien, vous deux. Je sais que vous vous inquiétez pour moi. Mais je sais ce que je fais et vous m'emmerdez avec vos banalités. Alors faites-moi confiance et lâchez-moi. Okay ?

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Incroyable ! Cette ville est le lieu idéal pour comprendre les conséquences d'un trésor, en bien comme en mal. Pépé ne laisse rien au hasard.

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- Elle est encore belle. Je veux dire pour son âge. Et où est ton père ?

- Absent. Papa et maman sont séparés.

- Alors il ne la méritait pas. Une si belle femme, et si…Pourquoi me regardes-tu comme ça ? Je n'ai pas toujours été curé. Je sais apprécier les beautés que Dieu nous offre. Bon. Parle-moi de ce qui t'amène ici.

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Je continue ou tu vas enfin comprendre que cette règle est universelle ? Que si tu ne devais connaître qu'une règle de vie, celle-ci te permettrait de traverser le monde sans jamais te tromper de chemin ?

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- Et notre construction, elle est élaborée ? Non, et pourtant elle va offrir l'essentiel, un toit à une famille. Alors arrête cette modestie inutile. Elle te freine dans ton évolution. Découvre-toi. N'aie pas peur.

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- Ecoute. Dans ma jeunesse, j'ai sacrifié l'amour d'une fille pour servir Dieu. Plus de trente ans après, je ne suis toujours pas sûr d'avoir pris la bonne décision. On apprend peut-être autant par l'amour que dans tous les textes que j'ai étudiés au séminaire.

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Retiens seulement que la pensée est puissante. Elle crée l'action, les événements futurs. D'où l'importance de penser positif. C'est là le secret. Tu me diras, pour certains de mes paroissiens à l'esprit étroit, ne pas penser est déjà un progrès.

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Je me trouve rapidement plongé dans un univers digne de Germinal. Nous commençons par offrir des feuilles de coca au Tio. Puis nous empruntons une galerie. J'ai déjà mal aux reins, le corps courbé en deux. Plus on avance, plus la température augmente. Je transpire sous mon casque. J'éprouve des difficultés pour respirer au milieu des émanations de gaz et de poussière. Combien de temps vais-je tenir ?

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Je mesure ma chance. Je viens de vivre l'enfer pendant quelques heures, alors que ces hommes le connaîtront toute leur vie.

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Je réfléchis à ma découverte en attendant que l'arôme du café réveille ce curieux homme d'Eglise. Peut-être fait-il partie d'une secte. CD ? Carpe Diem ? Chrétiens Dévots ? Ou alors, il a une liaison !? Après tout, il est loin d'être conventionnel. Pourquoi pas un homme ? Les femmes sont rares au séminaire. CD ? Christian Dior ? Non, impossible. Il néglige trop ses vêtements. Cameron Diaz ? Non, trop vieux pour elle. Je ris tout seul de mes divagations.

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J'ai trop mangé hier soir, ce n'est qu'un cauchemar. Non, la scène était trop réelle, c'est un avertissement. J'en suis sûr maintenant. Quel con ! Mais quel con ! Je me taperais la tête contre les murs. Moi, le grand aguerri des affaires, je me suis fait berné comme un débutant. C'est sûr.

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- Alors ce soir on fait la fête au restaurant, avec ta famille et les amis. Je pars demain.

Nos regards se fixent et se parlent, du bonheur d'être ensemble et de la douleur de se quitter.

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Je suis en avance, légèrement excité. Le voile va se lever.

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01/05/2007

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